Nicolas Bouvier (1929 - 1998)
L'oeuvre de Nicolas Bouvier est un chef-d'oeuvre de la littérature de voyage. L'usage du monde,
publié à compte d'auteur en 1963, est devenu une
référence de la littérature de voyage au XXe
siècle. Nicolas Bouvier a également
expérimenté le récit
illustré qui présente une étroite relation entre
ses textes et les oeuvres graphiques de Thierry Vernet.
L'usage du mondeest
une lente et prenante dérive en 1953 et 1954 entre
genève et le Khyber Pass (col d'une altitude de 1070m entre
l'Afganistan et le Pakistan) en compagnie du peintre Thierry Vernet
: la Yougoslavie, la Grèce, la Turquie, l'Iran, l'Afganistan et
l'Inde espérée. L'objectif de ce jouranl de bord de deux
voyageurs aventureux n'est pas la destinantion, c'est le voyage
devient, par
lui même, l'objectif du voyage.
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C'est
l'artiste peintre Anne Paul qui m'a fait connaitre L'usage du
monde, un ouvrage qui reflète l'amour de cette peintre pour les
voyages africains ou asiatiques croqués sur le vif.
C'est un
livre que j'ai lu lentement, par petits bouts semaine après
semaine, en m'adaptant au rythme du voyage, en savourant les
descriptions cocasses, attristées ou dramatiques de ce voyage en
terre des hommes.
Ce journal d'un
bord d'un voyageur aventureux dans les mondes européens et
orientaux de l'après-guerre offre une surprenante vision des contrées
traversées avec un vieux véhicule. Souvent en panne,
l'automobile contraint le voyageur à séjourner dans
de petites auberges où ils font connaissance des bulgares, des grecs, des persans, de
leur mode de vie et de leur psychologie. Un regard, un costume, un
infime détail est l'occasion de saisir les
spécificités du monde traversé. La situation
peut devenir subitement critique et d'une hospitalité
débonnaire virer vers un risque majeur. Cela
n'écarte jamais le plaisir du voyage, de la découverte
des hommes qui se moeuvent dans des payasages désertiques, des
villes, des bourgades de province ou des montagnes hostiles. La
politique est en toile de fond : arrangements tacites entre ethnies,
lagueurs d'administrations corrompues, toute puisssance des
responsables locaux. L'intérêt, toujours
renouvelé de la découverte est au coeur de l'ouvrage.
Extraits :
"On
passe à table. Choux aigre, soupe au pain, patates grumeleuses
qui ont dû cailler dans la terre sous l'emprise d'un
maléfice. A peine si je parviens à avaler une
bouchée ; toute l'assiette sent la mort à plein nez. On
doit pourtant s'y faire, parce qu'à la cuisine, une
demi-douzaine de terribles vieilles dont les mêches jaillissent
hors des fichus noirs s'agripent autour de la table depuis deux
heures au moins et plaisantent en mangeant des cassoulets. Ce sont les pleureuses."
"Erzerum.
La viille couleur de terre, avec de lourdes coupoles basses sur
l'horizon et de belles fortifications ottomanes rongées par
l'érosion. La terre brune l'entoure de toute part. Elle fourmille
de soldats terreux et l'étranger y voit ses papiers
contrôlés dix fois par jour. Il n'y a que quelques vieux
fiacres bleu lavande et le plumet jaune des peupliers pour y mettre de
la couleur."
"On
se retrouva seuls sous les milliards d'étoiles devant
l'étendue du désert balouch. Nous n'en pouvions plus.
C'était le bout de la nuit. Nous détestions l'Iran
presque autant qu'en d'autres circonstances nous avions pu l'aimer.
L'iran ce vieillard malade qui a tant créé, aimé
tant de choses, tant péché par orgueil, tant rusé,
tant souffert. Vieux praticien aux mains ivoirines, tantôt
capable d'un charme ensorcelant à ses moments lucides,
tantôt offert à la mort dans la torpeur de souvenirs qui
s'effacent, et tombé aujourd'hui au pouvoir de
créanciers plus robustes et moins raffinés que lui. On
n'en veux pas au vieux malades d'être vieux et malades, mais, le
moment venu, avec quel soulagement on s'en éloigne."
N'hésitez
pas à voyager avec Bouvier, de percevoir le voyage non plus comme un moyen
de parvenir à destination mais comme une fin en soi, un intense
plaisir de découvrir, sentir, comprendre le monde des hommes en observateur perspicace et amoureux.
Christian MARIA
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